Texte du Catalogue de l'Exposition à la Galerie Patrick Veret, Arras, novembre 2003
Véronique Masurel Le corps de la nature " Le paysage se pense en moi et je suis sa conscience." Paul Cézanne " La toile est caressée de grands balayages, de gestes larges et calmes, généreux et doux, de haut en bas, de bas en haut, en pulsations lumineuses, peut-être les traces d'une danse lente et somptueuse. Les couleurs, en aplats ou en fouets, jouent en gammes claires, en accords sourds, en contrastes francs. Sans la protection de la forme, Véronique Masurel préserve l'ampleur et la stridence et la profondeur des accords expressionnistes. Les vert tilleul se marient aux bleu lavande, les orange acides s'opposent aux mauve pâmés, les pourpres glissent au violet, les beige se durcissent en brun feuille morte, les noir d'encre côtoient les gris flanelle. Une couleur entraîne l'autre, la suivante s'oppose à elle, une troisième les éloigne. Elles se jouent d'actions réciproques et d'interactions, elles agissent en termes d'espace. L'espace est creusé en profondeur par l'accumulation même des gestes. Une première toile verticale est saturée, frontale, à la dimension du corps, comme une première prise en compte de l'espace. Une seconde vient immédiatement s'adjoindre, comme une mesure de l'espace qui s'élargit. Une troisième peut s'ajouter. L'horizon subjugue la mesure du corps. L'espace bascule. Les toiles ne s'ajoutent pas en panorama déployé. Elles s'accordent comme un second temps du même espace, et comme un second espace d'un même moment. La nature se décompose et se recompose, au-delà de tout ordre rationnel, par instinct. Cette superposition de couches de peinture, ne masquant pas, mais révélant, est du même ordre que celles qu'évoquait, à propos des tableaux de Chardin, Diderot (Salon, 1763) : c'est la substance des objets, ce sont des couches épaisses appliquées les unes sur les autres et dont l'effet transpire de dessous en dessus. On peut se souvenir des oeuvres plus anciennes de Véronique Masurel, où l'espace des compositions était celui de larges paysages, problablement des landes ou des plages. Cet espace s'est densifié, fragmenté, détaillé. On peut avoir l'impression d'y progresser, d'y pénétrer, de s'approcher au plus près de lui. Cette impression est d'abord celle d'une promenade dans un jardin, pour la luxuriance, ou dans une forêt, pour la densité. Elle est ensuite un affrontement, une fusion. On se heurte, dans cette marche, aux branches et aux fleurs. Mais perdu dans ce jardin ou cette forêt, on ne peut percevoir que les branches ou les fleurs qui viennent frapper le visage, éblouissant, et les mains, caressant. Aux branches et aux fleurs se conjuguent leurs reflets, peut-être leur souvenir, en miroitement, en notations légères et frissonantes. On peut avoir le sentiment de pénétrer dans la couleur. On est saisi, happé, embrassé. L'immersion est totale. Il s'en dégage une étrange plénitude, un sentiment, non pas de disparition, mais de fusion, de sérénité panthéiste. Ce sont les jardins de l'enfance, jardins de paradis, jardins des souvenirs sensibles, ceux d'un enfant du nord, comme Matisse, ébloui par la découverte de la Méditerranée, par sa lumière et ses couleurs." Jean-François Mozziconacci Jean-François Mozziconacci, est conservateur en chef des musées de France. Il a été directeur régional des Affaires cultuelles et directeur des musées de Nice. Il a organisé une centaine d'expositions d'art contemporain et préfacé autant de catalogues. |